15.01.2021 de Jennifer Zimmermann und Anne-Claude Imhoff
Chaque année, en Suisse, un tiers des aliments comestibles se perdent sur le chemin qui mène du champ à l’assiette. Leur production aura inutilement généré des émissions de CO2, contribué à la perte de biodiversité, consommé du sol et de l’eau. Ils engendreront également des tonnes de déchets. Ce gaspillage est un problème pour la société dans son ensemble, que nous pouvons résoudre seulement si tout le monde apporte sa contribution. Quel rôle peuvent jouer les communes dans ce domaine aux lourds impacts environnementaux, économiques et sociaux?
Jennifer Zimmermann:jennifer.zimmermann@pusch.chwww.pusch.ch
Anne-Claude Imhoff:info@forumdechets.chwww.lebird.chwww.pusch.ch
La consommation de denrées alimentaires en Suisse génère 2,8 millions de tonnes par an de pertes évitables tout au long de la filière, soit 4,5 fois le poids de la population et 25 % de l’impact environnemental dû à l’alimentation. L’illustration ci-dessous montre que les pertes alimentaires, à la fin de la chaîne de valeur ajoutée (soit 52 % pour la consommation des ménages et la restauration), présentent un impact plus élevé que celles causées au début de la chaîne, malgré la phase de transformation des aliments pourtant responsable de 27 % de l’impact environnemental.
Nous avons la chance inestimable de disposer de denrées alimentaires en abondance qui, de plus, répondent à des exigences de qualité très élevées. Mais le revers de la médaille de ce privilège est que, bien trop souvent, la nourriture est consommée seulement si elle est «parfaite». Au départ, ce sont les distributeurs qui refusent les aliments en raison de leur forme particulière ou de défauts naturels. Ensuite, dans les ménages, les dates de péremption et pertes d’attrait conduisent à un gaspillage annuel de 2,8 millions de tonnes de déchets, ce qui représente 4,5 fois le poids de la population helvétique! Et ce printemps, les mesures de protection promulguées par la Confédération en lien avec le coronavirus encouragent la population à acheter de plus grandes quantités de nourriture. Or, la pandémie a mis en évidence une Suisse à deux vitesses, comptant de nombreuses personnes menacées par la pauvreté. Des organismes ou associations collectent les invendus auprès des commerces de détail pour les distribuer aux plus démunis (en général désignés par les spécialistes de l’aide sociale) ou aux résidents d’institutions caritatives.
Le contraste dans notre pays est d’autant plus saisissant que chaque habitant-e gaspille en moyenne pour plus de 600 francs de denrées comestibles par année, hors le coût des sacs taxés pour l’élimination des déchets. Ce gaspillage ne fait pas que grever le portefeuille: il nuit aussi à l’environnement. Après tout, en ne consommant pas la nourriture, nous gaspillons également toutes les ressources nécessaires à sa production et à sa distribution. La liste est longue: la terre, l’eau et l’énergie en font partie, tout autant que les engrais, pesticides et matériaux d’emballage. Estimer l’impact environnemental des déchets alimentaires est pertinent, car nos repas représentent environ 30 % de notre empreinte environnementale individuelle. Le gaspillage de nourriture pèse aussi sur le climat, la disponibilité en eau, l’utilisation de terres agricoles. Des animaux sont abattus en vain, les écosystèmes naturels sont surexploités, ce qui nuit d’autant plus à la biodiversité. Dans l’ensemble, la part des déchets alimentaires dans la pollution de l’environnement en Suisse équivaut à la moitié de celle des transports privés motorisés. En diminuant de moitié ces déchets, nous pouvons atténuer notre impact environnemental nutritionnel de 10 à 15 %. Les économies réalisées permettraient en outre d’acheter de la nourriture à un prix plus équitable. Réduire le gaspillage serait une contribution majeure à un mode de vie durable, économe en ressources, éthiquement responsable et respectueux du climat.
Selon les calculs de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), une grande partie des déchets évitables est produite par les ménages (voir illustration). Rien que dans nos foyers, environ 90 kg de nourriture sont perdus par personne et par an. Avec une part de 38 %, ce gaspillage est clairement celui qui a le plus d’impact sur l’environnement. En deuxième position vient l’industrie de la transformation (29 %), suivie de celle de la restauration (14 %). Le commerce de gros et de détail représente 8 % de l’impact environnemental des déchets alimentaires. La part de la production agricole de denrées comestibles, qui se situe tout au début de la chaîne et qui a lieu en grande partie à l’étranger, atteint 13 %.
La réduction des pertes alimentaires joue donc un rôle décisif pour un mode de vie durable. Les diminuer de moitié d’ici 2030 est un objectif déclaré de l’Agenda 2030 des Nations Unies, auquel la Suisse a souscrit. Pour y arriver, le Conseil fédéral élabore actuellement un plan d’action contre le gaspillage d’aliments avec la participation des acteurs concernés (voir aussi en page 8). Ce plan vise à encourager les initiatives de l’industrie ainsi qu’à exploiter le potentiel de la recherche, de la numérisation et de l’innovation, mais également à améliorer les conditions-cadres et à mettre sur pied des actions de sensibilisation à la population. En 2024, une évaluation devra déterminer si les mesures du plan d’action sont adéquates ou si des ajustements sont nécessaires. Dans tous les cas, la collecte sélective des biodéchets – même correctement réalisée, sans déchets plastiques – est une réponse insuffisante: il est primordial qu’une fois produits, les aliments soient consommés.
Dans les faits, une étude réalisée en octobre 2019 par l’École polytechnique fédérale de Zurich à la demande de l’OFEV conclut que la valorisation, même optimisée, des déchets alimentaires en biogaz ou en nourriture pour animaux ne diminue pas significativement l’impact environnemental par rapport aux mesures assurant une consommation humaine. En avoir conscience est important, car les chiffres révèlent qu’aujourd’hui, seul 0,63 % des déchets alimentaires est réutilisé par la population, tandis que 48 % sont recyclés en engrais ou en biogaz, 31 % servent à nourrir des animaux et 21 % sont incinérés avec les ordures ménagères. Afin d’atteindre l’objectif fixé par les Nations unies d’ici 2030, on doit inverser ces chiffres, dans les années à venir, en faveur d’une réduction du gaspillage d’aliments par la consommation humaine. Cela nécessite l’engagement de toute la chaîne, y compris les consommateurs. L’accent est à mettre sur une planification améliorée, une bonne gestion des stocks, le recyclage systématique des restes et l’utilisation accrue de produits dits de «seconde catégorie», bien qu’irréprochables malgré leurs défauts.
La Confédération veut se donner les moyens d’agir efficacement. L’initiative nationale «SAVE FOOD, FIGHT WASTE», sous la direction de la Fondation Pusch, s’est déjà fixé comme objectif prioritaire de sensibiliser le public. Plus de 80 partenaires (dont trois offices fédéraux, 23 cantons, 11 communes et associations d’élimination des déchets, différents groupes d’intérêt de consommatrices et consommateurs – en particulier la Fédération romande des consommateurs (FRC) – d’agriculteurs et de détaillants ainsi que de nombreuses grandes et moyennes entreprises et initiatives d’économie alimentaire) sont impliqués dans diverses mesures visant à prévenir le gaspillage alimentaire, à sensibiliser le public aux enjeux d’une consommation durable ainsi qu’à fournir des conseils et connaissances simples sur la manière d’œuvrer dans leur champ d’action (voir également en page 7). Les cantons et les communes sont évidemment invités à agir. On peut citer à ce propos l’initiative de responsables.ch, un projet du canton de Vaud et de ses périmètres de gestion des déchets, qui a repris les éléments de la campagne nationale pour la création d’un stand « clé en main ». Développé et animé par la coopérative Cosedec (voir illustration en page 3), il est à disposition des communes, accompagné ou non d’un animateur ou d’une animatrice. Un jeu et des astuces sensibilisent la population aux potentiels d’économie et à une meilleure conservation des aliments. En cette fin d’été, une dizaine de communes ont déjà réservé le stand pour leur marché, la déchèterie ou des manifestations.
Avec l’ordonnance sur la prévention et l’élimination des déchets (OLED, 2016), les cantons et les communes ont reçu le mandat légal d’encourager la prévention de déchets au moyen de mesures appropriées, notamment de sensibilisation et d’information de la population. Les communes ont de nombreuses possibilités d’action pour réduire le gaspillage de nourriture (voir encadré). Petites ou grandes, elles sont déjà plusieurs à avoir pris des initiatives (lire également la page « Point de vue »). Beaucoup agissent en concertation avec leurs prestataires de repas (crèches, écoles, cantines, événements, etc.). Ainsi, le fournisseur de la cantine scolaire Confignon-Cressy, dans le canton de Genève , réalise des campagnes de détermination des quantités de nourriture non consommées et propose des pistes d’amélioration, en mettant l’accent sur l’adaptation des quantités. De son côté, la Ville de Sierre a organisé un concours dans le cadre des semaines de l’énergie, en collaboration avec le parc naturel Pfyn-Finges. Sur une plateforme spécifique, le personnel de l’administration communale était invité, seul-e ou en équipe, à relever onze défis, dont trois liés à l’alimentation et en particulier une action visant à éviter son gaspillage. Cette action a rencontré un joli succès, avec la participation de 57 collaboratrices et collaborateurs (37 % de l’effectif communal).
En 2019, l’association Ecoparc a organisé – avec Zero Waste Switzerland, dans le cadre du Réseau des villes de l’Arc jurassien et du Programme d’actions vers une société à 2000 watts – des conférences sur l’énergie grise cachée dans les produits. La volonté très répandue dans les ménages de diminuer leurs déchets, en particulier d’emballages plastiques, permet de créer un lien avec la population et d’échanger ensuite sur d’autres actions moins tangibles. Cette collaboration se poursuit avec le hub Neuchâtel, dans le nouveau projet participatif LAB ANTIGASPI, dont l’objectif est de limiter le gaspillage lié à l’alimentation et d’améliorer la valorisation des déchets dans l’Arc jurassien. De nombreuses initiatives se développent donc, avec plus ou moins de succès (par ailleurs difficile à mesurer), sur d’attrayants sites web, avec une présence sur les réseaux sociaux ou dans les médias. La critique est parfois facile, peut-être justifiée, mais ne rien faire n’est pas une solution, et les expériences d’une commune peuvent servir à une autre. Il est important en outre que les projets ne soient pas portés que par un petit nombre de personnes convaincues. La fondation Pusch, initiatrice de la campagne savefood.ch, met à disposition des communes une boîte à outil pour les aider à participer à l’objectif de la Confédération, soit une diminution, en 2030, de la moitié du gaspillage alimentaire en Suisse.
La campagne Responsables.ch, initiée par les périmètres vaudois de gestion des déchets et le canton, sensibilise la population au marché, dans les déchèteries ou lors de manifestation. Les communes intéressées peuvent s'annoncer à info@responsables.ch
L'OFEV a identifieé les quantitiés d'aliments qui sont perdues ou jetées. Avec 0,63 % la donation pour la consommation humaine y est très minoritaire. On peut cependant mentionner la Table suisse, qui redistribue chaque année près de 4000 tonnes de nourriture à des œuvres sociales ou des banques alimentaires.
Les partenaires peuvent utiliser les éléments de la campagne pour leurs propres projets de sensibilisation. Ici sur un véhicule de la ville de Winterthour.
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